ÉDOUARD LALO, GÉNIE OUBLIÉ ?
Édouard Lalo est né le 27 janvier 1823 au 10 rue des Tours, dans le quartier du Vieux-Lille. Si la demeure de l'époque n'existe plus, la plaque commémorative y est toujours installée. Il est l'aîné d'une fratrie de trois, issue de l'union de Désiré-Joseph Lalo et Bathilde-Marie-Louise-Joseph Wacquez. À l'âge de 10 ans, son père l'inscrit au Conservatoire de Lille. Le jeune Lalo entre dans la classe de violon où il suit les cours dispensés par le violoniste Joseph Müller et le violoncelliste Peter Baumann. Ce dernier l'oriente vers la musique de chambre et la symphonie germanique. En 1835, il obtient le premier prix de solfège puis 3 ans plus tard, le premier prix de violon. L'adolescent décide alors de partir à Paris. Il n'entre pas au Conservatoire mais étudie la composition avec le pianiste Julius Schulhoff (1825-1898) et Joseph-Eugène Crèvecoeur. Ses premières partitions datent de 1847-1848. À cette époque, la mode est à la mélodie, il met alors des poèmes en musique comme Six romances populaires du chansonnier Béranger (Pierre-Jean de, 1780-1857) puis ceux de Victor Hugo ou encore des pasquilles de son ami Desrousseaux. Il crée également des sonates pour piano et violon dont l’Allegro moderato opus 2 dédié à son professeur Schulhoff. |
Photographie de la maison natale en 1902, Fonds bmL, Ms B211-7 Carte postale du conservatoire, Fonds bmL, CP 1806 |
Lalo (en haut à gauche) |
Ne réussissant pas à monter sur les scènes des théâtres, Lalo vit grâce à la musique de chambre. Proche du violoniste Jules Armingaud, il intègre le quatuor à cordes du même nom, en sa qualité d'alto. Le "Quatuor Armingaud" est officiellement constitué le 30 janvier 1856 avec Édouard Lapret au deuxième violon et Léon Jacquard au violoncelle. Le quatuor s'accompagne parfois d'un pianiste et devient en 1871 la "Société classique de musique de chambre", avec l'intégration d'un contre-bassiste et d'un flûtiste. Cette formation redonne ainsi ses lettres de noblesse à ce genre musical en France et remet à l'honneur les compositions germaniques à l'instar de Mendelsshon ou Beethoven. Lalo quitte le groupe en 1873. De nos jours, quatre musiciens français Fanny Spangaro, Jean-Louis Constant, Jean-Baptiste Jourdin et Tristan Liehr ont reformé le "Quatuor Armingaud" en hommage à leurs prédécesseurs. Vous pouvez les découvrir sur leur site https://quatuorarmingaud.com/. Dans la vie intime, Édouard Lalo joue également de la musique de chambre classique en compagnie de ses amis Edgar Degas, Eugène Delacroix, Charles Gounoud, Camille Saint-Saëns, Pablo de Sarasate... Sa deuxième femme, l'une de ses anciennes élèves, Julie Barnier de Maligny (1843-1911) les accompagne au chant. Contralto, elle a interprété les mélodies de son mari ainsi que celles de Georges Bizet, Gabriel Fauré ou Jules Massenet. Elle a sans doute inspiré plus tard son mari pour composer le Roi d'Ys. Le couple Lalo donne naissance en 1866 à un fils unique, Pierre, qui deviendra critique musical. Lalo lui compose son opus 32 pour piano La Mère et l'Enfant. |
En parallèle, Édouard Lalo poursuit ses créations et se tourne vers le Théâtre Lyrique. Son premier opéra Fiesque est ébauché dès 1866. Il est terminé in extremis le 27 octobre 1868 à Amiens en vue de participer au concours initié par le Ministère des Beaux-Arts dont il sort troisième. Il faudra pourtant attendre 2006 pour qu'il soit enfin monté au Festival de Montpellier ! De son vivant, Lalo n'a entendu que quelques bribes. Il a tout de même extrait quelques oeuvres remarquables dont La Symphonie en sol mineur. |
Il s'attaque également au ballet avec sa Namouna. Souffrant, il n'a pas pu terminer la musique et a envoyé ses directives à Charles Gounod. Il n'a même pas pu être présent à la première le 6 mars 1882 au Palais Garnier. Un moindre mal, vu l'accueil exécrable ! "Une musique tour à tour somnolente, tapageuse et cacophonique " relaie Le Nord contemporain, "des fanfares d'un style inadmissible sur la scène de l'Opéra" écrit Le Ménestrel. Pourtant, ce ballet composé en deux actes et trois scènes, chorégraphié par Lucien Petipa, frère du célèbre Marius, montre bien la virtuosité de Lalo. Le jeune Claude Debussy ne s'y trompe pas quand il se souvient de ce "chef-d'oeuvre de rythme et de couleurs", tout comme les amis peintres et musiciens d'Édouard Lalo. Le 19 juin 1943, l'oeuvre est ressuscitée avec la création de Suite en blanc sur une chorégraphie de Serge Lifar. Plus de 300 représentations ont lieu ! Malgré les déboires et les reconnaissances tardives, Lalo a su franchir tous les obstacles et recueillir enfin le succès avec Le Roi d'Ys. |
Fonds BnF |
Fonds bmL, 27504 |
Lalo commence le Roi d'Ys dès 1875. La première version est terminée en deux ans. À la même période, il tente désespérement de faire accepter Fiesque, en vain. Il décide alors de miser sur son nouvel opéra. Il le propose tout d'abord au Théâtre-Lyrique, puis à la salle Ventadour mais l'histoire se répète, malgré les ajustements demandés. Même Auguste Vaucorbeil (1821-1884) qui pourtant estimait l'oeuvre digne d'être présentée sur les planches de l'Opéra, ne l'a pas programmé lorsqu'il prit ses fonctions de directeur de l'établissement en 1879 ! Louis Paravey prend la tête du Théâtre-Lyrique en 1888 et donne enfin sa chance à Lalo avec trois dates seulement. Le 7 mai, salle du Châtelet, la première consacre enfin le maître. Le compositeur Paul Dukas (1865-1935) commente cette soirée " À la profonde stupéfaction du directeur, du chef d'orchestre, des danseuses, des choristes, des machinistes, des lampistes et des critiques, le "Roi d'Ys" reçut un accueil triomphal. Alors, brusquement, ce fut pour Édouard Lalo, plus que le succès, la gloire. Car le succès va du public à ses favoris, mais la gloire va des maîtres au public."1 Plus de 100 représentations ont lieu en moins d'un an. En France comme à l'Étranger, l'opéra de Lalo est programmé et conquit les publics français, belbe, anglais, américain... Dans sa ville natale, Le Roi d'Ys est accueilli le 15 février 1889 au Grand-Théâtre. Une nouvelle fois, le public comme la critique est unanime. La Semaine musicale de Lille va plus loin : "les opéras de cette valeur ne sont pas communs de nos jours; la réussite est certaine pour le Roi d'Ys partout où on le monte, et s'il est une chose à regretter, c'est qu'on ait mis si longtemps à faire connaître cette belle oeuvre, qui est en train de faire le tour du monde."2 |
Lalo obtient le prix Monbinne décerné par l'Académie des Beaux-Arts pour sa partition du Roi d'Ys puis la Légion d'honneur l'année suivante en 1889. Reconnu enfin comme symphoniste, il entame la même année, un nouvel opéra La Jacquerie, en collaboration avec le poète Édouard Blau (1836-1906), auteur du livret du Roi d'Ys. Malheureusement, de santé fragile, Lalo laisse son oeuvre inachevée et s'éteint le 22 avril 1892. Il est inhumé au Père Lachaise en présence de son fils et de Jules Massenet notamment dont le discours honore la mémoire du maître : " C'est au nom de la "Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques" que je prends la parole en cette cruelle circonstance. [...] Lalo a lutté sans jamais connaître une défaillance dans ses convictions, sans jamais se laisser aller au découragement qui entraîne les faiblesses. C'était un tempérament, c'était une âme d'élite."3 |
Sa ville natale l'a commémoré à de nombreuses reprises : en 1902 par une plaque commémorative au 10 rue des Tours et un buste installé dans le foyer du Grand-Théâtre (ancien Opéra de Lille), en 1922 par un monument au jardin Vauban puis un nouveau en 1968. Après le centenaire, place au bicentenaire afin de ne pas oublier ce génie lillois ! |
1. La Voix du Nord du 29 mars 1973 (Jx. 378)
2. La Semaine musicale de Lille du 17 février 1889 (P. 909)
3. Le Ménestrel du 1er mai 1892
Nathalie Pfister (NP)