Témoignage - Mia Farlane : "Mon histoire personnelle avec Proust"
« Cela fait des années que je feins d’avoir lu Proust mais cet automne M. et moi, nous nous y sommes lancés » – Katherine Mansfield
J’ai rencontré Proust pour la première fois lorsque j’avais quinze ans, et si j’avais vaguement entendu parler de lui, je ne savais pas que c’était un écrivain célébrissime, supposé être difficile d’accès, et redoutable principalement à cause de ses très longues phrases où l’on a (comme Iris Murdoch l’avoue) parfois du mal à relier l’objet au sujet, tant les phrases subordonnées abondent, sans parler des maintes références culturelles et historiques qui nécessiteraient des pages et des pages de notes (à concurrencer en quantité avec celles d’Ulysse de Joyce) dans des éditions ultérieures, alors j’ai pu ouvrir son premier livre de À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, et lire « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », envoûtée, sans tous ces encombrements, ce bagage mental ( autrement dit, en anglais, « mental garbage ») qui, je le gagerais bien, gâche le plaisir à bien des lecteur·ice·s.
Mon père m'a offert À la recherche du temps perdu – une belle édition Gallimard intégrale NRF en quinze volumes dans une boîte en carton, livrée en mains propres et sans cérémonie – pour mes quinze ans. Je me souviens exactement de là où j’étais : Aro Valley, Te Whanganui-a-Tara, Aotearoa Nouvelle-Zélande. J’étais une écrivaine (et lesbienne) en devenir, alors c’était le cadeau idéal. J’apprenais le français depuis à peine deux ans (à Wellington Girls’ College, l’école secondaire de la nouvelliste Katherine Mansfield qui a écrit « I have been pretending to have read Proust for years but this autumn M. and I both took the plunge »). Je ne vais pas prétendre avoir beaucoup compris à quinze ans. Mais lire quelques paragraphes de Proust comme je l’ai pu, à travers ce voile (de manque de vocabulaire et cetera) n’a fait que rajouter à la magie. Je me suis identifiée tout de suite au petit garçon qui chérissait sa maman qui lui lisait des histoires la nuit. Et j’ai apprécié l’autodérision de Proust, et l’humour qu’il visait à certains de ses personnages. J’ai compris un peu plus au fur et à mesure des années. Si j'ai mis, de livre en livre, des décennies à finir À la recherche du temps perdu, je l'ai enfin lu en entier. Les trois derniers livres m'ont tenu compagnie après la mort de mon père il y aura bientôt huit ans.
Et je continue à lire À la recherche du temps perdu. Je le relis, avec un réel plaisir. Surtout que j’ai appris il y a une quinzaine d’années dans l’autobiographie de Muriel Spark, Curriculum Vitae, que cette dernière aimait lire Proust, en français, avant de se mettre à écrire. Je m’y remets ! Mais d’abord, je vais relire quelques pages du Temps retrouvé.
Mia Farlane
[Citation : p. 344 The Collected Letters of Katherine Mansfield Vol IV : 1920-1921 (Clarendon Press, 1996) eds. Vincent O'Sullivan & Margaret Scott]
Mia Farlane, écrivaine néo-zélandaise, propose un blog français/anglais sur des romans français (trimestriel)
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