Témoignage - M.G. : "Pourquoi je lis Proust ?"
Ma première rencontre avec Proust fut un fiasco total. J'étais adolescente et je cherchais un roman d'amour. J'ai ouvert "Un amour de Swann". J'abandonnai très vite. On peut comprendre pourquoi…
Des années plus tard, ma seconde, ma troisième, puis ma quatrième rencontre avec Proust furent des fiascos tout aussi fracassants. Je le trouvais terriblement ennuyeux.
Pourquoi, vers 50 ans, me suis-je lancée à corps perdu dans La Recherche, jusqu'à la lire 4 fois intégralement et y revenir régulièrement depuis ? Il y a une part de mystère dans cela… mais aussi…
D'abord, il y a l’incipit, le fameux "longtemps je me suis couché de bonne heure", qui éveille chez moi des bouffées de nostalgie au souvenir de ce temps où, chez ma grand-mère je me couchais tôt tandis que la sonnette de la boutique de l'épicerie tintait encore. Proust ça d'abord été cela : l'évocation d'un monde disparu, avec ses tantes Léonie, ses Françoise, ses tartes, ses asperges, ses trains à vapeur et ses pâtisseries du dimanche. Et c'est cette même nostalgie douce que je retrouve chaque fois que je le lis, avec le même plaisir et la même tendresse.
Mais Proust, c'est aussi un monde qui m'est devenu si familier qu'il m'est nécessaire d'y retourner souvent, comme on part en villégiature, pour y retrouver de vieilles connaissances dont j'ai besoin d'avoir de temps à autre des nouvelles. Dans cet univers proustien, je fulmine avec Charlus, je coquette avec Oriane, je souffre avec Swann, je me délecte des propos d'Elstir; mais surtout, je dialogue avec Marcel qui m'agace autant que je lui ressemble.
Et puis il y a chez Proust ces longues phrases sinueuses, ces détours de la pensée qui prend son temps pour être au plus près, au plus juste des choses. J'aime que Proust me fasse prendre des chemins plein de courbes, qui ne vont pas droit au but mais m'entraînent là où mes propres pas ne m'auraient pas conduite : des lignes pour l'écume d'une vague; des paragraphes pour une sensation, des pages pour un sentiment.
Proust me fait rire, Proust me console, Proust me ravit, Proust me rend moins bête... je pourrais vivre sans Proust mais tellement, tellement moins bien…
M.G.